Alexandre d'Orsetti

Formes, fonctions et usage
L’objet et son public

Rencontre avec Alexandre d’Orsetti, designer industriel

Comment rendre moins hermétique la frontière entre celui qui pense un objet et son utilisateur ? De quelle manière peuvent se trouver imbriqués forme, fonction et usage dans un luminaire ?
Alexandre d’Orsetti, designer industriel, nous livre ses réflexions sur ces questions qui traversent l’histoire du design.

Pourquoi as-tu souhaité participer au livre Lumière ! 16 luminaires design à réaliser soi-même

J’ai dessiné le luminaire Poly dans la continuité d’un projet un peu utopique mené durant mes études à l’ENSCI, dans le cadre d’un atelier de réflexion sur les FabLabs. Il posait la question des nouveaux modes de production en impression 3D et interrogeait l’implication de l’utilisateur dans la fabrication de l’objet. Le livre traitait exactement de ces thématiques. Cela m’a donné envie d’y participer.

Qu’évoque pour toi le design de partage ?

Un designer qui met à disposition des systèmes constructifs nés de son expertise, de son savoir-faire. Cette démarche s’oppose au principe d’une consommation automatique et désincarnée d’objets-images qui sont carénés et instaurent une barrière avec leur utilisateur. Partager un principe constructif, c’est rendre les objets qui en découlent plus transparents.

Enzo Mari disait : « j’ai pensé que si les gens étaient encouragés à construire de leur main une table, ils étaient alors à même de comprendre la pensée cachée derrière celle-ci ».

C’est certain. Comprendre la pensée cachée derrière un objet permet de nouer avec lui une autre relation. On a souvent peu de considération pour les objets. On les résume à leur valeur marchande sans considérer l’incroyable savoir-faire industriel ou artisanal nécessaire à leur confection. Leur fabrication a la plupart du temps nécessité beaucoup d’énergie, d’intelligence, la maîtrise de matériaux et de process complexes. C’est très étonnant de voir le manque total de considération qu’on leur apporte. Impliquer les gens dans la fabrication de leurs objets, révéler leur structure intime est une façon de sortir des réflexes de consommation aveugle, d’avoir un rapport plus personnel avec les objets dont on s’entoure.

Quelles sont tes références dans le domaine du luminaire ?

J’aime les luminaires édités par Flos, particulièrement ceux de Gino Sarfatti. Ils mettent en scène la lumière de façon lisible et poétique. Ils sont au point d’équilibre entre la technicité d’un dispositif lumineux et la narration de la lumière qui se propage, se manipule, se reflète ou se diffuse. Derrière chaque luminaire, on perçoit une idée, un événement. J’aime aussi beaucoup les lampes de bureau articulées. La lampe Anglepoise, la Tolomeo de Michele de Lucchi ou la Tizio de Richard Sapper. Le fait qu’elles soient articulées leur donne une attitude serviable, efficace et un air un peu vivant, animé.

Les ampoules et les sources lumineuses t’intéressent aussi je crois ?

Elles sont le cœur de la lampe, là ou s’opère la conversion de l’électricité en lumière. C’est une famille d’objet aux contours assez flous, tantôt organe technique, tantôt luminaire en soi. Pour cette raison, j’aime les lampes des Castiglioni. Celles dont la source lumineuse est apparente : la Toio, la Luminator ou la Lampadina. L’ampoule m’intéresse aussi dans sa lignée technique. Elle a remplacé la bougie et on observe parfois les traces de cette ascendance avec des ampoules en forme de flamme ou des culots avec des gouttes de cire.

On parle ici de sémiotique et d’évolution des objets.

Ces sujets m’importent beaucoup. Les nouveaux objets, pour être acceptables, héritent souvent d’une forme apprivoisée visuellement dans la mémoire collective et qui perdure dans les périodes de transition technologiques. Ezio Manzini l’explique dans La matière de l’invention. Une innovation technique, par exemple un nouveau matériau, passe par une forme transitoire d’imitation de l’existant avant de trouver sa propre forme. Aujourd’hui, avec la disparition du filament et les progrès techniques sur les LED, je suis curieux des nouvelles formes à donner à la lumière. J’aime les luminaires parce que ce sont des objets qui domestiquent et nous permettent de manipuler deux éléments impalpables : l’électricité et la lumière.

« Toute technique proprement dite a sa forme. »

Marcel Mauss